
Dans les entrailles des mines de Zellidja, où les échos d’un passé colonial résonnent entre les roches de la mémoire, l’écrivain marocain Moulay El Omrani nous entraîne, à travers son roman documentaire Salem à Zellidja, au cœur du Maroc des années 1940 et 1950. Ce récit, qui ravive une mémoire oubliée, explore l’image complexe et paradoxale du « Roumi », le colon européen, mêlant rigueur et humanité.
Cette figure ambivalente a fait l’objet d’une analyse approfondie lors du troisième colloque international sur la littérature minière, les arts plastiques, le théâtre et le cinéma, organisé les 13 et 14 juin 2025 par la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Mohammed Ier d’Oujda, en collaboration avec le Centre d’études et de recherches en sciences humaines dans le domaine minier (CERHSO). C’est dans ce cadre que la professeure de littérature française, Dr. Souad Masmoudi, a présenté une communication intitulée « L’image du Roumi dans Salem à Zellidja ».
Le Roumi : un miroir des contradictions humaines
À Zellidja, ville minière qui sert de toile de fond au roman, le Roumi se dévoile sous un double visage. Tantôt il incarne le responsable de la mine, inflexible, impitoyable et incorruptible, imposant aux jeunes Marocains discipline et sérieux pour accéder au travail. Tantôt il se révèle à travers des figures humaines porteuses de justice et de bonté.
Ce portrait contradictoire, oscillant entre crainte et fascination, prend corps dans des personnages comme la famille Meslin, qui adopte Salem et l’initie à la culture européenne, ou encore Boulaya, responsable des services sociaux, qui rend justice aux femmes de la ville.
Comme l’a souligné Dr. Masmoudi dans son intervention, El Omrani ne se contente pas d’une représentation stéréotypée du colon. Il défie les préjugés en montrant le Roumi comme un être doté d’une mentalité et d’une culture différentes, mais capable d’interactions positives avec la communauté locale.
Raviver la mémoire coloniale
Classé comme roman documentaire, Salem à Zellidja, ainsi que l’a analysé Dr. Masmoudi, ambitionne de revisiter une mémoire coloniale qualifiée de « perdue ou oubliée ». À travers les souvenirs d’enfance et de jeunesse de l’auteur dans les mines de Zellidja, le roman ne se limite pas à un simple récit historique. Il s’agit d’une tentative de comprendre les relations complexes entre colonisateur et colonisé.
Lors du colloque, Masmoudi a insisté sur le fait que l’œuvre dépasse le cadre du témoignage pour ouvrir un dialogue interculturel, mettant à l’épreuve les stéréotypes et explorant comment la peur, la méfiance et la fascination ont façonné le regard des habitants de Zellidja sur le Roumi.
Le vivre-ensemble : un dialogue culturel dans une ville cosmopolite
La force du roman réside dans sa réflexion sur le vivre-ensemble, un thème central de l’intervention de Dr. Masmoudi. Zellidja, décrite comme un creuset de cultures cosmopolites, devient un espace où la possibilité de construire des ponts entre colonisateur et colonisé se manifeste à travers des actes individuels. L’adoption de Salem par la famille Meslin ou la justice rendue par Boulaya en sont des exemples éloquents. Ces gestes, comme l’a noté Massmoudi, incarnent une volonté de coexistence et invitent à déconstruire les stéréotypes par un dialogue culturel qui transcende les conflits historiques.
Ce dialogue, reflété par les échanges du colloque réunissant chercheurs et artistes, souligne que la littérature minière n’est pas seulement un document historique, mais un espace créatif qui explore l’humanité dans les conditions les plus rudes.
Une mémoire gravée dans la roche
Dans le cadre du colloque international d’Oujda, l’intervention de Dr. Souad Masmoudi a mis en lumière l’importance de Salem à Zellidja comme œuvre littéraire revisitée sous l’angle de la mémoire coloniale, mêlant réalisme et réflexion. À travers l’image complexe du Roumi, El Omrani nous invite à méditer sur la possibilité d’une coexistence dans un monde pluriculturel, tandis que le colloque affirme le rôle de la littérature minière comme passerelle entre passé et présent.
Des profondeurs de Zellidja émerge une histoire humaine qui transcende les frontières, nous rappelant que la mémoire, aussi oubliée soit-elle, demeure un pont vers la compréhension de l’autre et la construction d’un avenir commun. Dans les galeries sombres des mines, la plume d’El Omrani et l’analyse de Masmoudi tracent un chemin lumineux vers une réconciliation avec l’histoire.
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