L’histoire de la crise entre l’Algérie et les Émirats : les véritables causes

Les tensions entre l’Algérie et les Émirats arabes unis s’intensifient depuis des années, transformant les relations bilatérales, autrefois marquées par une coopération économique et diplomatique, en une véritable guerre froide, voire une quasi-rupture à certains moments. Cette crise, qui a commencé à se manifester clairement après la chute du régime de l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika en 2019, reflète des contradictions géopolitiques et des rivalités régionales profondes. Voici une analyse complète de l’histoire de cette crise et de ses véritables causes, basée sur les informations disponibles à partir de sources multiples.

1. Contexte de la crise : de la coopération à l’escalade

  • Les débuts : Historiquement, les relations entre l’Algérie et les Émirats étaient caractérisées par la coopération, notamment dans les domaines économiques. En mai 2010, le ministre émirati de l’Économie, Sultan bin Saeed Al Mansouri, a conduit une délégation en Algérie, où un mémorandum d’entente a été signé avec le ministre algérien des Finances, Karim Djoudi, pour renforcer le commerce bilatéral et la coopération dans l’enseignement supérieur, l’énergie et les télécommunications. Le Premier ministre algérien de l’époque, Ahmed Ouyahia, considérait les Émirats comme « la porte d’entrée de l’Algérie vers le Moyen-Orient » et un « centre stratégique ».
  • Le tournant : Les premiers signes de discorde sont apparus après le mouvement populaire algérien de 2019, qui a renversé Bouteflika. Les tensions se sont accrues avec l’adoption par l’Algérie de positions fermes sur des questions régionales, tandis que les Émirats ont suivi une voie opposée, notamment en normalisant leurs relations avec Israël et en soutenant le Maroc dans la question du Sahara occidental.
  • L’escalade récente : Entre 2023 et 2025, la crise a atteint son paroxysme, avec une réduction de la représentation diplomatique, l’arrêt d’investissements émiratis majeurs en Algérie et des accusations mutuelles relayées par les médias et les plateformes politiques. Des rapports, comme ceux publiés par Arabi Post, ont documenté une « crise diplomatique silencieuse » menaçant de conduire à une rupture totale.

2. Les véritables causes de la crise

La crise entre l’Algérie et les Émirats ne résulte pas de différends passagers, mais de contradictions géopolitiques et idéologiques profondes. Les principales causes peuvent être résumées comme suit :

a. Les divergences géopolitiques

  1. La situation en Libye : L’Algérie et les Émirats adoptent des positions opposées concernant la crise libyenne. L’Algérie soutient le Gouvernement d’entente nationale et une solution politique inclusive, tandis que les Émirats appuient le général Khalifa Haftar, plaçant les deux pays en confrontation directe. Ce différend reflète des visions divergentes pour l’influence en Afrique du Nord.
  2. Le Sahara occidental : Les Émirats soutiennent le Maroc dans le conflit du Sahara occidental, tant sur le plan politique que militaire, notamment en fournissant à Rabat des équipements d’espionnage sophistiqués. En revanche, l’Algérie est le principal soutien du Front Polisario et de l’option de l’autodétermination, faisant du soutien émirati au Maroc une source majeure de tension.
  3. La normalisation avec Israël : La décision des Émirats de normaliser leurs relations avec Israël en 2020 a suscité le mécontentement de l’Algérie, qui rejette la normalisation et soutient fermement la cause palestinienne. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a publiquement critiqué cette démarche, poussant les Émirats à envoyer des messages de menace à l’Algérie, selon des rapports médiatiques.

b. Accusations d’espionnage et d’ingérence

  • Allégations d’espionnage : En juin 2023, le journal algérien El Nahar a rapporté l’arrestation de quatre espions émiratis travaillant pour le Mossad israélien, accusant les Émirats de comploter contre l’Algérie. Bien que le ministère algérien des Affaires étrangères ait démenti ces informations, elles reflètent un climat de méfiance profond.
  • Le programme Pegasus : La crise autour du logiciel d’espionnage israélien Pegasus a jeté de l’huile sur le feu. Des rapports ont révélé que des numéros de diplomates algériens, y compris celui de l’ambassadeur français en Algérie, étaient ciblés, renforçant les soupçons d’une coopération émiratie-israélienne contre l’Algérie.
  • Ingérence dans les affaires internes : L’Algérie accuse les Émirats de chercher à déstabiliser son ordre intérieur, notamment après le mouvement populaire. Certains estiment que les Émirats, en raison de leur proximité avec l’ancien régime de Bouteflika, ont tenté d’influencer la scène politique algérienne pour servir leurs intérêts.

c. Questions économiques et politiques internes

  • Les fonds de Bouteflika : L’Algérie soupçonne les Émirats de détenir environ 300 millions de dollars dans des comptes liés à la famille Bouteflika et à d’anciens responsables, et a refusé les demandes algériennes de restitution de ces fonds. Ce différend financier est devenu un point de tension majeur.
  • L’échec des BRICS : L’échec de l’Algérie à rejoindre le groupe des BRICS en 2023, attribué par certains à l’opposition des Émirats, a suscité la colère des Algériens, notamment après les déclarations de Louisa Hanoune, dirigeante du Parti des travailleurs, qui a ouvertement attaqué les Émirats.

d. Rivalité régionale et idéologique

  • Le rapprochement avec la Turquie et le Qatar : Le rapprochement de l’Algérie avec la Turquie et le Qatar, principaux rivaux des Émirats, a irrité Abou Dhabi. L’Algérie et la Turquie coordonnent leurs positions sur la Libye et d’autres dossiers, ce que les Émirats perçoivent comme une menace à leur influence régionale.
  • L’idéologie politique : L’Algérie adopte une approche républicaine et un héritage révolutionnaire soutenant les causes de libération, tandis que les Émirats privilégient un pragmatisme axé sur la stabilité et la normalisation. Cette contradiction idéologique alimente les tensions.

3. Manifestations de la crise

  • Réduction de la représentation diplomatique : En janvier 2024, l’Algérie et les Émirats ont réduit leur représentation diplomatique, avec des rapports faisant état de rappels d’ambassadeurs et de retraits d’investissements émiratis importants.
  • Accusations publiques : En 2024, le Haut Conseil de sécurité algérien a publié un communiqué condamnant des « actes hostiles » attribués aux Émirats sans les nommer, suscitant un large débat.
  • Guerre médiatique : Les médias algériens ont multiplié les attaques contre les Émirats, les accusant de comploter, tandis que des médias émiratis ont riposté par des contre-accusations. Les déclarations d’un historien algérien en mai 2025, relayées par la chaîne Al Sharq, ont ravivé une nouvelle bataille médiatique.
  • Confrontations télévisées : Des émissions télévisées, comme l’affrontement entre Mohammed Larbi Zitout et Ayed Al-Manaa en mai 2025, ont révélé l’ampleur des divergences, les deux parties échangeant des accusations sur les véritables causes de la crise.

4. Points de vue populaires et officiels

  • L’opinion publique algérienne : Un consensus populaire en Algérie considère les Émirats comme un « ennemi direct », notamment après les accusations d’espionnage et la normalisation avec Israël. Des publications sur la plateforme X reflètent cette colère, certains estimant que l’Algérie est ciblée en raison de ses positions de principe.
  • La position officielle : L’Algérie a maintenu une prudence diplomatique, démentant certains rapports (comme l’expulsion de l’ambassadeur émirati), mais les communiqués du Haut Conseil de sécurité et les déclarations de responsables comme Tebboune indiquent une tension réelle.
  • Les Émirats : Les Émirats n’ont pas commenté publiquement la plupart des accusations, mais des sources médiatiques émiraties affirment la poursuite de la coopération économique, comme en témoigne une lettre de Tebboune à Mohammed ben Zayed en août 2023, évoquant les « relations de coopération mutuelle ».

5. Conséquences et perspectives

  • Sur le plan économique : L’arrêt des investissements émiratis en Algérie, qui étaient d’une importance considérable, pourrait affecter l’économie algérienne, mais reflète une décision politique de privilégier la sécurité nationale sur les intérêts économiques.
  • Sur le plan politique : La crise risque d’aggraver les divisions régionales, notamment avec le rapprochement des Émirats avec le Maroc, plaçant l’Algérie face à un front régional hostile.
  • Tentatives d’apaisement : Des rencontres diplomatiques, comme celle entre Tebboune et Mohammed ben Zayed en juin 2024, ont suscité des spéculations sur une possible demande de « pardon » des Émirats, mais les conditions de l’Algérie, telles que l’arrêt des ingérences, restent en vigueur.

6. Conclusion

La crise entre l’Algérie et les Émirats est le résultat d’un cumul de divergences géopolitiques, économiques et idéologiques. Du soutien des Émirats au Maroc et de leur normalisation avec Israël aux accusations d’espionnage et au refus de restituer les fonds de Bouteflika, les causes sont multiples et ont conduit les relations bilatérales au bord de la rupture.

L’Algérie perçoit les Émirats comme une menace pour sa sécurité nationale et ses intérêts régionaux, tandis que les Émirats adoptent une approche pragmatique en contradiction avec les positions de principe algériennes. Dans ce contexte tendu, des opportunités de désescalade existent, mais elles dépendent d’un changement radical dans les politiques d’Abou Dhabi vis-à-vis de l’Algérie.

La question demeure : la diplomatie parviendra-t-elle à désamorcer cette crise, ou la région est-elle vouée à une escalade accrue ?

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