L’altercation à Guelmim : un miroir des tensions entre pouvoir nommé et pouvoir élu

Lors de la session ordinaire du conseil régional de Guelmim Oued Noun, une confrontation verbale intense a opposé le wali de la région, Mohamed Najem Abhai, à un membre de l’opposition, Mohamed Abou Drar, au sujet de la signature d’un accord avant l’approbation du conseil. Cet incident, documenté par des vidéos sur YouTube, n’est pas un simple différend passager, mais révèle une tension profonde dans les relations entre les autorités locales nommées et les partis politiques élus au Maroc. Quelle est la nature de cette relation ? Et comment constitue-t-elle un défi pour la régionalisation avancée ?

1. Contexte historique et juridique

Depuis l’adoption de la Constitution de 2011, le Maroc s’efforce de promouvoir la régionalisation avancée comme mécanisme pour élargir la démocratie locale et habiliter les régions à gérer leurs affaires. Les conseils régionaux, dirigés par des élus tels que M’Baraka Bouaida, présidente du conseil de Guelmim Oued Noun, sont censés être responsables de l’élaboration des politiques de développement et de leur suivi. En revanche, le wali, en tant que représentant de l’État central, reste chargé de coordonner les projets nationaux et de garantir la sécurité et la stabilité. Cette répartition théorique des rôles se heurte parfois à une réalité complexe, où les compétences s’entremêlent et les visions s’opposent.

Dans le cas de Guelmim, Abou Drar, membre de l’opposition, a critiqué la signature par le wali d’un accord avant l’approbation du conseil, y voyant une ingérence dans les prérogatives de la région. Le wali a répondu avec fermeté, affirmant sa connaissance de ses compétences et défendant des réalisations telles que l’avancement de la construction de l’hôpital universitaire (77 %) et l’ouverture d’une formation en soins infirmiers. Ce différend met en lumière une tension entre l’autorité nommée, qui justifie ses actions par l’efficacité et la responsabilité, et les partis politiques, qui se considèrent comme les représentants de la volonté populaire.

2. Nature de la relation : coopération ou conflit ?

Historiquement, la relation entre les autorités locales et les partis politiques au Maroc a été un mélange de coopération et de conflit. Durant la période du protectorat et après l’indépendance, les autorités locales (caïds et gouverneurs) étaient des instruments de contrôle central, tandis que les partis, notamment le mouvement national, exigeaient des réformes et une participation. Avec les réformes de la régionalisation, les partis politiques, à travers les conseils élus, sont devenus des partenaires dans la gouvernance locale, mais cette transition n’a pas éliminé l’influence significative des walis.

  • Coopération : Dans de nombreux cas, le wali collabore avec les partis politiques pour mettre en œuvre des projets de développement. Par exemple, lors des sessions du conseil de Guelmim Oued Noun, le wali Mohamed Najem Abhai a travaillé avec la présidente du conseil, M’Baraka Bouaida, pour inaugurer des projets tels que la plateforme « Al Jisr » pour l’autonomisation des femmes (2022) et le lancement du programme de développement régional 2022-2027, d’une valeur de 11,9 milliards de dirhams.
  • Conflit : Cependant, le conflit surgit lorsque les partis, en particulier l’opposition, cherchent à exercer leur rôle de contrôle. Dans le cas d’Abou Drar, sa critique du wali était une tentative d’affirmer le rôle de l’opposition dans la « correction des dérives », mais le débat a dégénéré en une confrontation personnelle, révélant des défis dans la communication. D’autres exemples incluent les protestations dans la région de Guelmim en 2015 contre le remplacement de l’ancien wali, Omar Hadrami, où des partis et associations locales ont accusé l’État de marginaliser les figures sahraouies.

3. Défis de la relation

  • Chevauchement des compétences : Les lois régissant la régionalisation (comme la loi organique 111-14) confèrent aux conseils régionaux de larges pouvoirs en matière de planification et de développement, mais le wali conserve une autorité de supervision et d’intervention dans certains cas. Ce chevauchement génère des malentendus, comme dans l’affaire de la signature de l’accord à Guelmim.
  • Absence de culture démocratique : L’altercation entre Abou Drar et le wali, marquée par des remarques personnelles telles que « je suis plus âgé que toi », révèle une faiblesse dans les normes du dialogue politique. Cela souligne le besoin de renforcer la culture démocratique parmi les élus et les responsables nommés.
  • Équilibre entre centre et régions : La régionalisation avancée vise à réduire la domination du centre, mais l’influence du wali, en tant que représentant de l’État, reproduit parfois cette domination. À Guelmim, le wali semblait se considérer au-dessus des critiques locales, ce qui a suscité le mécontentement de l’opposition.

4. Leçons et recommandations

L’incident de Guelmim met en évidence la nécessité de réévaluer la relation entre les autorités locales et les partis politiques pour atteindre les objectifs de la régionalisation avancée :

  • Clarification des compétences : Les lois doivent être rédigées avec plus de précision pour éviter le chevauchement entre les prérogatives des walis et des conseils régionaux, tout en renforçant les mécanismes de consultation préalable.
  • Formation politique : Les partis politiques doivent former leurs membres à la critique constructive et aux normes du dialogue, tandis que les responsables nommés nécessitent une formation sur le respect du rôle de contrôle des élus.
  • Renforcement de la transparence : La signature des accords doit être soumise à des procédures transparentes impliquant les conseils élus, afin d’éviter les accusations d’ingérence.
  • Encouragement du dialogue : La création de plateformes de dialogue régulières entre les walis et les conseils régionaux peut réduire les tensions et instaurer la confiance.

5. Conclusion

L’altercation verbale à Guelmim Oued Noun n’est pas un événement isolé, mais reflète des défis structurels dans la relation entre les autorités locales et les partis politiques au Maroc. Si la coopération dans la mise en œuvre des projets de développement montre la possibilité d’un partenariat, les conflits comme celui observé à Guelmim révèlent le besoin d’un meilleur équilibre entre le centre et les régions. La régionalisation avancée ne réalisera ses objectifs qu’en renforçant la confiance mutuelle, en clarifiant les compétences et en construisant une culture démocratique respectueuse des différences. En fin de compte, la question demeure : ces tensions peuvent-elles se transformer en une opportunité pour redéfinir une relation plus harmonieuse entre le pouvoir et la politique au Maroc ?

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