Histoire de la médecine moderne à Oujda : une odyssée temporelle avec le professeur Badr El-Maqri

Abdelali Al-Jabri – Mercredi 14 mai 2025, Faculté de médecine d’Oujda

Le mercredi 14 mai 2025, la salle des conférences de la Faculté de médecine, de pharmacie et de médecine dentaire de l’Université Mohammed Premier à Oujda a vibré au rythme d’une conférence magistrale intitulée « Histoire de la médecine moderne à Oujda », présentée par le professeur Badr El-Maqri, historien, chercheur et professeur de littérature islamique à la même université.

Organisée par l’association des professeurs de médecine, cette intervention, loin d’être un simple exposé académique, s’est révélée être une véritable plongée dans la mémoire historique, culturelle et scientifique de la ville millénaire d’Oujda.

Ce récit, à la croisée de l’histoire, de la médecine et de l’identité locale, a captivé l’auditoire par sa richesse documentaire et son approche humaniste.

Un prélude sur l’importance de l’histoire et des archives

Le professeur El-Maqri a ouvert son discours en soulignant que la compréhension d’une science, telle que la médecine, exige une exploration approfondie de ses racines historiques. Selon lui, l’histoire n’est pas un luxe intellectuel, mais une nécessité pour saisir les dynamiques qui façonnent le présent et orientent l’avenir.

Il a insisté sur le rôle crucial des archives comme fondement de cette entreprise, déplorant le retard du Maroc dans la mise en place d’institutions archivistiques modernes. Alors que des pays voisins, comme l’Algérie, ont développé des structures archivistiques plus tôt, le Maroc n’a créé une institution dédiée qu’en 2011, ce qui a fragilisé la conservation de son patrimoine documentaire.

Ce constat, teinté d’inquiétude, a servi de toile de fond à son exploration de l’histoire médicale d’Oujda, une ville qu’il qualifie de « millénaire » en raison de son passé riche et de sa position stratégique à la frontière maroco-algérienne.

Oujda, carrefour historique et médical

Oujda, ville-frontière au croisement des influences culturelles et politiques, a été présentée comme un espace unique où l’histoire médicale s’entrelace avec celle des dynamiques coloniales, des échanges transfrontaliers et des ambitions locales. El-Maqri a retracé comment la ville, marquée par l’occupation française et les interactions avec l’Algérie voisine, est devenue un foyer pour le développement de la médecine moderne dans la région orientale du Maroc.

Cette position géographique a fait d’Oujda un point de convergence pour des praticiens de diverses origines et un centre de formation pour les élites médicales, tant marocaines qu’algériennes.

Les racines de la médecine : l’héritage islamique

Avant d’aborder la médecine moderne, El-Maqri a tenu à rendre hommage aux fondations de la médecine dans la civilisation islamique, en s’appuyant sur l’exemple d’Ibn Rochd (Averroès), figure emblématique du XIIe siècle. Il a exploré deux œuvres majeures du savant andalou :

  • « Bidayat al-Mujtahid wa Nihayat al-Muqtasid », un traité juridique où Ibn Rochd formule des avis fiqhiques (jurisprudenciaux) en lien avec la médecine, brisant ainsi la dichotomie stéréotypée entre le juriste et le médecin.
  • « Al-Kulliyyat fi al-Tibb » (Les Généralités en médecine), un ouvrage qui expose les principes fondamentaux de la médecine, où le terme « Kulliyyat » désigne les concepts universels sous-tendant cette science.

En évoquant Ibn Rochd, El-Maqri a rappelé que la médecine islamique ne se limitait pas à la pratique clinique, mais s’inscrivait dans une vision holistique intégrant éthique, droit et science, un héritage qui continue d’inspirer les approches médicales modernes.

La médecine moderne à Oujda : une révolution portée par les institutions militaires

Le cœur de la conférence s’est concentré sur l’émergence et le développement de la médecine moderne à Oujda, un processus étroitement lié à la période coloniale française. El-Maqri a détaillé le rôle pivot des hôpitaux militaires, qui ont jeté les bases des infrastructures médicales modernes dans la ville. Parmi les institutions évoquées :

  • L’hôpital militaire de 1907, le premier du genre à Oujda, établi sous l’égide de l’administration coloniale française pour répondre aux besoins des troupes.
  • L’hôpital Sainte-Marie (ou Marist), un établissement emblématique de l’époque coloniale.
  • L’hôpital Nicolas, fondé en 1921, qui a marqué une étape importante dans l’organisation des soins.
  • L’hôpital Lazari, initialement conçu comme un lazaret (lieu de quarantaine sanitaire) à l’écart de la ville, avant de devenir un hôpital militaire à part entière en 1942.
  • L’hôpital militaire américain, témoignage de l’influence internationale dans la région pendant le XXe siècle.

Ces institutions, bien que nées dans un contexte colonial, ont jeté les fondations d’un système de santé structuré, dont les retombées ont bénéficié à la population locale au fil du temps.

Le « colon médical » : une mosaïque de nationalités

Un des aspects les plus fascinants de l’histoire médicale d’Oujda, selon El-Maqri, est la diversité des praticiens qui y ont exercé. Il a introduit le concept de « colon médical », décrivant l’afflux de médecins et professionnels de santé issus de multiples horizons nationaux. Français, Espagnols, Grecs, Italiens, Cubains, Brésiliens, et bien d’autres, ont contribué à enrichir le paysage médical de la ville.

Cette diversité, fruit de la position géographique d’Oujda et de son statut de carrefour régional, a créé un écosystème médical unique, où les savoirs et les pratiques se sont croisés et enrichis mutuellement.

Oujda, berceau des élites médicales régionales

Loin de se limiter à un rôle de réceptacle pour les médecins étrangers, Oujda s’est imposée comme un centre de formation pour les élites médicales locales et régionales. El-Maqri a souligné un fait méconnu : la ville a joué un rôle déterminant dans la formation de la première génération de médecins algériens avant l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Ces praticiens, formés dans les institutions médicales d’Oujda, ont ensuite contribué au développement des systèmes de santé de leur pays. Ce rôle de pépinière intellectuelle illustre l’influence d’Oujda au-delà des frontières marocaines.

Figures médicales emblématiques d’Oujda

El-Maqri a enrichi son récit en rendant hommage à des figures médicales locales ayant marqué l’histoire de la ville. Parmi elles :

  • Le Dr Abdelhadi Messaouak, premier cardiologue originaire d’Oujda, qui a exercé comme médecin personnel des rois Mohammed V et Hassan II. Au-delà de ses compétences médicales, Messaouak était un fervent nationaliste, engagé dans la lutte pour l’indépendance du Maroc.
  • Le Dr Larbi Teham, un autre cardiologue de renom, dont les contributions ont renforcé la réputation d’Oujda comme vivier de talents médicaux.

En parallèle, El-Maqri a évoqué l’émergence de nombreuses cliniques privées, pharmacies et praticiens indépendants qui ont façonné le paysage des soins à Oujda. Ces acteurs, souvent méconnus, ont joué un rôle essentiel dans l’accès aux soins pour la population locale.

Les défis de la mémoire : préserver le patrimoine médical

Un thème récurrent dans l’intervention d’El-Maqri a été l’urgence de préserver le patrimoine médical et culturel d’Oujda. Il a exprimé une profonde préoccupation face à la destruction ou à la négligence des monuments historiques, comme les portes de la ville, rasées lors de la politique d’« apaisement » coloniale française.

Pour lui, cette perte équivaut à une « amnésie collective », résumée par l’expression amazighe « Nstou mimou » (« Nous avons oublié, nous avons perdu la mémoire »). Une ville qui oublie son passé, a-t-il averti, risque de perdre son identité.

Le retard dans la constitution d’archives organisées constitue un autre obstacle majeur. El-Maqri a raconté comment il a dû fouiller des documents épars pour retracer les noms des médecins, des cliniques et des pharmacies qui ont jalonné l’histoire d’Oujda.

Ce travail d’archéologue de la mémoire, bien que fructueux, met en lumière la fragilité de cet héritage face à l’absence de structures institutionnelles dédiées.

Une vision pour l’avenir : un musée médical et des technologies modernes

Pour contrer ces défis, El-Maqri a proposé des solutions concrètes et ambitieuses :

  • La création d’un musée dédié à l’histoire de la médecine à Oujda, qui abriterait des documents, photographies, outils médicaux et autres artefacts pour raconter l’histoire de la ville et de ses contributions au domaine médical.
  • L’utilisation de technologies modernes, comme des cartes en trois dimensions, pour documenter et préserver les monuments historiques de la ville.
  • La restauration des bâtiments coloniaux, témoins matériels de l’histoire médicale et culturelle d’Oujda, afin d’assurer leur pérennité pour les générations futures.

Ces projets, bien que complexes, ne sont pas utopiques. El-Maqri a appelé à une mobilisation collective, impliquant les institutions, les chercheurs et la société civile, pour faire de cette vision une réalité.

Une conférence au-delà de l’histoire : une ode à l’identité d’Oujda

La conférence du professeur El-Maqri n’a pas seulement retracé des événements historiques ; elle a été une célébration de l’identité d’Oujda et un appel à sa renaissance culturelle. En tissant des liens entre le passé (Ibn Rochd, les hôpitaux militaires, les élites locales) et le présent (les étudiants et professeurs de la Faculté de médecine), il a montré comment l’histoire peut inspirer les générations actuelles et futures. Son discours, empreint de rigueur académique et de passion pour sa ville natale, a transformé l’auditoire en gardiens potentiels de cette mémoire.

Conclusion : Oujda, une ville à la croisée des temps

En conclusion, « Histoire de la médecine moderne à Oujda : une odyssée temporelle avec le professeur Badr El-Maqri » n’est pas seulement le titre d’une conférence, mais le symbole d’un projet intellectuel et culturel plus vaste. À travers son érudition, El-Maqri a redonné vie à une Oujda vibrante, carrefour de savoirs, de cultures et d’ambitions.

Son appel à créer un musée médical, à préserver les archives et à restaurer le patrimoine matériel est un défi lancé à tous ceux qui chérissent cette ville millénaire. Oujda, avec son passé glorieux et ses promesses d’avenir, mérite que son histoire soit non seulement racontée, mais célébrée et protégée pour les générations à venir.

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