
La session des questions orales tenue au Conseil des Conseillers le mardi 13 mai 2025 a abordé des enjeux économiques et sociaux cruciaux, révélant les efforts du gouvernement et les défis persistants. Cet article analyse les principaux points discutés — gestion des litiges de l’État, réforme des établissements et entreprises publics, intégration de l’économie informelle, dialogue social et politiques de l’emploi — tout en formulant des observations critiques sur les réponses des ministres.
1. Gestion des litiges de l’État : un fardeau croissant pour les finances publiques
Contexte et ampleur du problème
Les litiges impliquant l’État constituent un défi majeur en raison de leur coût financier et de leur impact sur l’investissement et la confiance citoyenne. En 2023, les jugements ont imposé à l’administration publique des indemnisations dépassant 11,95 milliards de dirhams, équivalant à la moitié du budget de certains secteurs. L’Agence judiciaire du Royaume (AJR) reçoit annuellement environ 20 000 nouveaux dossiers, avec 200 000 dossiers en cours, et analyse 7 000 jugements par an pour en tirer des données statistiques. Malgré cela, l’AJR a réalisé des économies importantes, atteignant 16,2 milliards de dirhams en 2024 et 25,4 milliards sur les cinq dernières années.
Causes et impacts
Les litiges découlent d’erreurs administratives, telles que des irrégularités dans les procédures d’expropriation, le non-respect des jugements judiciaires ou des retards dans les recours. Plus de 65 % de ces litiges pourraient être évités grâce à une intervention précoce et un accompagnement juridique préalable. L’expansion des activités de l’administration publique et la diversification de ses missions, notamment dans le cadre des grands chantiers, expliquent l’augmentation de 100 % des litiges en dix ans. Leur coût dépasse les pertes financières, entraînant des retards dans les investissements, une érosion de la confiance des acteurs économiques et une image négative de l’administration.
Mesures prises
Le ministère de l’Économie et des Finances a organisé un débat national le 15 avril 2025, aboutissant à cinq recommandations principales et 43 mesures exécutives, incluant la révision de la loi sur l’expropriation, l’instauration de procédures d’urgence pour les projets exceptionnels et la création de commissions administratives pour les recours. Un réseau de coopération a été établi entre l’AJR et des ministères clés pour partager les expertises. Le ministère travaille actuellement sur un plan d’action avec un calendrier et des indicateurs de performance pour mettre en œuvre ces recommandations.
Propositions des conseillers
Les conseillers ont appelé à une stratégie nationale participative, à l’activation de l’arbitrage, à l’adoption de la numérisation, à la création d’une banque nationale des litiges et à la révision du cadre juridique pour permettre à l’AJR de suivre tous les dossiers.
Observations critiques
La ministre a insisté sur l’importance de la coordination intersectorielle, mais ses réponses manquent d’un calendrier clair pour la mise en œuvre des recommandations ou de détails sur la gestion des erreurs administratives récurrentes. L’accent mis sur les économies réalisées risque de détourner l’attention des réformes structurelles nécessaires pour réduire l’émergence des litiges, comme la formation des fonctionnaires et l’amélioration des procédures administratives.
2. Réforme des établissements et entreprises publics : un chantier stratégique à rythme inégal
Contexte et importance de la réforme
La réforme des établissements et entreprises publics est un chantier stratégique s’appuyant sur les directives royales et la loi-cadre 50-21. Elle vise à renforcer la gouvernance, améliorer la performance et garantir l’efficacité des dépenses publiques. Ces institutions souffrent de dysfonctionnements structurels et financiers, d’un chevauchement des compétences et d’un faible impact développemental, devenant parfois un frein au progrès.
Mesures prises
L’Agence nationale de gestion stratégique a été créée pour superviser 57 établissements et entreprises publics, avec une stratégie de participation étatique comme feuille de route. Les mesures incluent la fusion et la liquidation de certaines entités, ainsi que la révision de leurs missions. Des réformes, comme les groupements sanitaires territoriaux et les sociétés de distribution d’eau et d’électricité, sont soutenues, avec un renforcement de la gouvernance via la restructuration des conseils d’administration et des contrats-programmes.
Propositions des conseillers
Les conseillers ont réclamé une accélération de la réforme, plus de transparence, une évaluation rigoureuse des performances, la nomination de compétences et l’activation du principe de responsabilité. Ils ont également proposé de soutenir la direction des entreprises publiques et de la privatisation et de promouvoir le partenariat public-privé.
Observations critiques
La ministre a souligné la profondeur de la réforme et l’allocation de ressources supplémentaires à la direction, mais ses réponses manquent de détails sur la résolution des chevauchements de compétences ou l’amélioration de la performance des institutions à faible impact. L’allusion à des contraintes non précisées soulève des questions sur les progrès réels, surtout face au rythme lent signalé par les conseillers.
3. Économie informelle : un défi structurel nécessitant des solutions innovantes
Ampleur et impacts du phénomène
L’économie informelle représente environ 30 % du PIB, mobilisant 80 % de la main-d’œuvre, avec 83 % des entreprises non structurées. Elle aggrave la précarité sociale, prive les travailleurs de protection sociale et affaiblit l’économie nationale. Ses causes incluent la bureaucratie, les lourdes taxes et la difficulté d’accès au financement, en faisant un refuge pour les chercheurs d’emploi.
Mesures prises
Le gouvernement a introduit des réformes fiscales (contribution professionnelle unifiée, exonérations) et encouragé l’inscription à la sécurité sociale via de nouvelles lois. Il a soutenu les petites entreprises par la numérisation, la simplification des procédures et l’initiative de l’auto-entrepreneur. En 2025, 33 000 personnes ont bénéficié d’une pension grâce à ces réformes.
Propositions des conseillers
Ils ont appelé à accélérer les réformes, réviser le Code du travail pour plus de flexibilité contractuelle, établir un statut pour l’inspection du travail et simplifier les démarches de création d’entreprises. Ils ont également proposé des campagnes de sensibilisation et de formation, tout en considérant le secteur informel comme une opportunité de développement.
Observations critiques
Les réponses de la ministre se sont concentrées sur les réformes fiscales et sociales, sans aborder clairement la bureaucratie ou le soutien aux jeunes et aux femmes dans les zones reculées. L’allusion à l’initiative de l’auto-entrepreneur sans approfondir ses problèmes affaiblit la crédibilité de la réponse. Une stratégie globale liant réformes fiscales et formation professionnelle est nécessaire.
4. Dialogue social : avancées et défis persistants
Contexte et importance du dialogue
Le dialogue social est un choix stratégique pour assurer la paix sociale et stimuler la productivité économique. Institutionnalisé depuis 2022, il a permis l’adoption de la loi organique sur la grève, l’élargissement de la protection sociale, l’amélioration du pouvoir d’achat et l’augmentation du salaire minimum. Les réalisations incluent l’accord du 30 avril 2024 et des conventions sectorielles dans la santé et l’éducation.
Défis en cours
Les dossiers en suspens incluent la réforme des retraites, la législation sur les syndicats et la révision du Code du travail, perçu comme un obstacle à la compétitivité. Les questions des catégories professionnelles (administrateurs, ingénieurs, inspecteurs du travail) et l’exclusion de certains syndicats du dialogue ont été critiquées.
Réponses du ministre
Le ministre a reconnu les progrès dans l’institutionnalisation et l’étude des dossiers des catégories professionnelles, s’engageant à établir un nouveau statut pour les inspecteurs du travail.
Observations critiques
Malgré les avancées, les réponses du ministre n’ont pas proposé de solutions claires pour les dossiers sensibles comme la réforme des retraites ou l’exclusion syndicale, ce qui pourrait éroder la confiance dans le dialogue. L’allusion à des études en cours sans calendrier contraignant soulève des interrogations sur l’engagement à résoudre ces défis.
5. Politiques de l’emploi : programme de formation professionnelle et défis des jeunes
Contexte et objectifs
Le programme de formation professionnelle vise à intégrer les jeunes sans diplôme sur le marché du travail via une formation complémentaire, ciblant 100 000 jeunes. Il cherche à combler les lacunes du système de formation professionnelle, qui n’accueille que 80 000 des 900 000 personnes concernées.
Mesures et propositions
Les politiques incluent le soutien aux petites entreprises, la simplification des démarches et des incitations fiscales. Les conseillers ont proposé des programmes de formation et des campagnes de sensibilisation pour soutenir les jeunes et les femmes.
Observations critiques
Les réponses de la ministre n’ont pas détaillé le financement du programme ni l’expansion des capacités de formation pour absorber le grand nombre de jeunes. L’absence d’une stratégie claire reliant la formation aux besoins réels du marché du travail affaiblit l’efficacité du programme.
Conclusion et recommandations
Les débats reflètent l’engagement du gouvernement à relever les défis économiques et sociaux, mais les réponses ministérielles manquent souvent de précision et de calendriers. Les recommandations incluent :
- Établir des plans d’action contraignants pour mettre en œuvre les recommandations, notamment dans la gestion des litiges et la réforme des entreprises publiques.
- Approfondir les réformes de l’économie informelle via des programmes de formation intensifs liés à des incitations sociales.
- Accélérer la révision du Code du travail et activer un dialogue social inclusif englobant tous les syndicats.
- Renforcer la transparence des politiques de l’emploi par la publication de rapports périodiques sur l’avancement des programmes comme la formation professionnelle.
Atteindre ces objectifs nécessite une coordination accrue entre le gouvernement et le Parlement, avec une approche proactive axée sur des résultats concrets pour renforcer la confiance et soutenir le développement durable.
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