Ce que le public russe risque de perdre si Trump ferme Radio Free Europe

A view shows the newsroom of Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) broadcaster in Moscow, Russia April 6, 2021. Picture taken April 6, 2021. REUTERS/Evgenia Novozhenina

reutersinstitute.politics.ox.ac.uk – Prague/Washington – 30 Avril 2025

Le public russe pourrait perdre une source d’information vitale alors que l’administration du président américain Donald Trump menace de fermer Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), une institution médiatique financée par les États-Unis qui diffuse en russe et dans 27 autres langues à travers 23 pays. Cette menace, qui inclut également la fermeture de Voice of America et de Radio Free Asia, suscite l’inquiétude des journalistes et des observateurs quant à son impact sur la liberté de la presse dans les régions dominées par des régimes autoritaires.

Un choc pour le public russe

Début avril 2025, les téléspectateurs dépendant des informations diffusées par satellite en dehors de l’espace médiatique contrôlé par le Kremlin ont été confrontés à une mauvaise surprise : au lieu de Current Time, une chaîne d’information affiliée à RFE/RL, ils ont vu un écran rouge affichant un message inquiétant. Ce changement est dû à la décision de l’administration Trump de couper le signal du satellite qui transmet les programmes de la station en Russie, dans le cadre de son plan de fermeture de l’organisation. Cette mesure a plongé des milliers de journalistes dans l’incertitude et créé un vide médiatique que les régimes autoritaires cherchent à combler avec de la propagande et de la désinformation.

Selon Nicola Careem, rédactrice en chef de RFE/RL, la station joue un rôle crucial en offrant un « journalisme de survie » aux publics des pays dépourvus de presse libre ou équitable. Les statistiques de la station indiquent que ses programmes touchent chaque semaine environ 10 millions de personnes en Russie (9 % de la population adulte), 10 % des Iraniens et 25,8 % des Ukrainiens, ainsi qu’un total de près de 50 millions de personnes dans 23 pays, de l’Europe de l’Est à l’Asie centrale, en passant par le Moyen-Orient.

Le travail des journalistes depuis l’exil

Après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, RFE/RL a été contrainte de suspendre ses opérations en Russie et de transférer les journalistes de son service russe et de la chaîne Current Time à Riga, la capitale de la Lettonie, où elle a ouvert un nouveau centre médiatique en 2024. Andrey Shary, directeur du service russe de la station, explique que Riga est devenue un refuge pour les journalistes russes exilés, ce qui en fait un emplacement stratégique pour continuer à servir le public cible.

Le travail de RFE/RL se distingue par sa couverture unique depuis les lignes de front, comme ses reportages primés sur les premières heures de l’invasion russe de l’Ukraine. « Notre couverture sur le terrain est sans équivalent sur le marché russophone, personne d’autre ne la propose à une telle échelle », affirme Shary. La station produit également du contenu en russe destiné à la fois aux Russes et aux Ukrainiens, un équilibre technique délicat qui exige une grande expertise.

Programmes locaux et diversité du public

RFE/RL propose des programmes adaptés dans les langues locales, comme Sibir.Realii (Réalités de Sibérie) ou Kavkaz.Realii (Réalités du Caucase), qui diffuse en russe et en tchétchène, une langue parlée par moins de deux millions de personnes. Ces programmes se concentrent sur les problématiques locales, cejoint un public spécifique dans des régions données. Shary précise que la station cible particulièrement les 50 % de Russes estimés ouverts à consommer des médias non contrôlés par le Kremlin, ainsi que les opposants à Poutine, qui constituent son audience principale.

Défis et menaces

La désignation de RFE/RL par la Russie comme « organisation indésirable » en 2024, après avoir été qualifiée d’« agent étranger » en 2017, a imposé des restrictions sévères aux journalistes. Face à la menace de fermeture, Gulnoza Said, coordinatrice du programme Europe et Asie centrale du Comité pour la protection des journalistes, avertit que les médias locaux ne pourront pas combler le vide laissé par RFE/RL, tandis que la propagande étatique renforcera son emprise en l’absence de responsabilité.

Point de vue : une perte médiatique et humaine

La fermeture de RFE/RL porterait un coup dur à la liberté de la presse en Russie et dans d’autres pays dépendant de ses programmes. Cette station n’est pas seulement une plateforme d’information, mais une source essentielle d’informations fiables dans des environnements dépourvus de médias libres. Cependant, la décision de l’administration Trump soulève des questions sur les priorités politiques, car elle pourrait être perçue comme une tentative de réduire l’influence douce des États-Unis face à la propagande russe. Plutôt que de fermer, il serait plus judicieux de renforcer le soutien à de telles institutions pour relever les défis médiatiques à l’ère numérique, tout en garantissant la protection des journalistes travaillant dans des conditions hostiles.

Conclusion

La menace de fermeture de Radio Free Europe révèle la fragilité de la liberté de la presse face aux décisions politiques et aux pressions autoritaires. Pour des millions de Russes et d’autres locuteurs des langues couvertes par la station, la perte de cette source pourrait signifier un isolement médiatique et une amplification de la propagande gouvernementale. Dans un monde de plus en plus complexe, RFE/RL demeure un symbole du journalisme indépendant, et sa fermeture représenterait une perte non seulement pour son public, mais aussi pour les valeurs de liberté et de transparence.

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