Al-Jolani et son entraînement britannico-américain : les révélations de Robert Ford dévoilent les coulisses du jeu syrien

Damas, 22 mai 2025

Les déclarations de l’ancien ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford, concernant son rôle dans l’entraînement d’Abou Mohammed al-Jolani, leader de Hayat Tahrir al-Cham, ont suscité une vive controverse, révélant des détails troublants sur l’implication britannico-américaine dans la préparation d’al-Jolani à prendre le pouvoir à Damas. Cet événement, couplé à la remise des archives de l’espion israélien Eli Cohen à Israël, met en lumière les complexités du paysage politique et du renseignement en Syrie, tout en soulevant des questions sur la véritable nature de la « révolution syrienne » et le rôle des puissances occidentales dans celle-ci.

L’entraînement d’al-Jolani : du djihad à la politique

Lors d’une conférence prononcée le 1er mai 2025, à l’invitation du Conseil des relations étrangères à Baltimore, Robert Ford a révélé qu’il faisait partie de ceux qui ont entraîné al-Jolani pour prendre le pouvoir à Damas, à la demande du Royaume-Uni. Il a précisé que les rencontres et les sessions de formation ont eu lieu à Idlib en 2020 et 2023, ajoutant que Hayat Tahrir al-Cham (anciennement Front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda en Syrie) a été choisie pour prendre le pouvoir par une décision internationale et onusienne, après l’échec des négociations avec le régime de Bachar al-Assad. Ford a également indiqué que les équipes chargées de former al-Jolani comprenaient des ambassadeurs, des experts stratégiques et des officiers des services de renseignement britanniques et américains, révélant un niveau élevé de coordination entre les deux puissances occidentales.

Cette confession a alimenté un débat sur la nature du processus ayant conduit al-Jolani au pouvoir. Alors que certains le considèrent comme le leader d’une « révolution » syrienne, d’autres, s’appuyant sur les déclarations de Ford, estiment que ce qui s’est déroulé était un empowerment calculé de Hayat Tahrir al-Cham, soutenu par l’Occident, pour atteindre des objectifs géopolitiques visant à remodeler la Syrie et à la sortir de l’axe de la « résistance ».

Remise des archives d’Eli Cohen : jeu de renseignement ou geste de bonne volonté ?
Dans un contexte connexe, l’agence Reuters a rapporté, citant des sources syriennes, dont un responsable sécuritaire et un conseiller d’Ahmed al-Charaa (le vrai nom d’al-Jolani), qu’al-Jolani a accepté de remettre les archives de l’espion israélien Eli Cohen à Israël, dans une démarche visant à apaiser les tensions avec Tel-Aviv et à établir des ponts de confiance avec l’administration du président américain Donald Trump.

Israël, de son côté, a tenté de démentir cette version, affirmant que la récupération des archives a été réalisée par une opération complexe des services de renseignement du Mossad. Cependant, l’échec du Mossad à récupérer ces archives pendant six décennies renforce la version syrienne selon laquelle al-Jolani a facilité leur remise. Toutefois, les analystes estiment que ce geste ne visait pas seulement à manifester une bonne volonté envers Trump, mais s’inscrivait dans le cadre des engagements d’al-Jolani envers les puissances occidentales qui l’ont préparé au pouvoir, comme l’a révélé Ford.

Le rôle du Royaume-Uni : les ombres de l’impérialisme

Les déclarations de Ford ne sont pas les premières à pointer du doigt l’implication britannique dans la crise syrienne. Le Parti communiste britannique a publié un communiqué intitulé « Impérialistes, levez les mains de la Syrie », accusant le gouvernement britannique d’avoir contribué au financement et à l’armement de groupes terroristes, y compris Hayat Tahrir al-Cham, depuis 2011, en collaboration avec les États-Unis, l’OTAN, la Turquie et Israël. Le communiqué souligne que ces puissances ont cherché à démanteler la Syrie pour sécuriser le contrôle de ses ressources pétrolières et sa position stratégique au Moyen-Orient.

Un rapport de l’Institut britannique de recherche d’investigation, publié en 2021, a révélé que le gouvernement britannique a dépensé 350 millions de livres sterling entre 2016 et 2021 pour soutenir des groupes armés en Syrie sous le label de « l’opposition modérée », qualifiant cette désignation de trompeuse. Le rapport précise que ces fonds ont été acheminés via le fonds « Conflit, Stabilité et Sécurité » pour soutenir des projets visant à restructurer des organisations comme le Front al-Nosra, qui s’est transformé en Hayat Tahrir al-Cham.

Al-Jolani : du chef djihadiste à l’homme en costume-cravate

John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, dans un article publié par The Independent Arabia, a souligné la transformation frappante de l’image d’al-Jolani, qui a abandonné sa tenue militaire et son apparence djihadiste pour adopter un costume et une cravate, cherchant à se présenter comme un homme d’affaires plutôt qu’un chef terroriste. Cependant, Bolton s’est interrogé sur la question de savoir si al-Jolani et son organisation ont réellement abandonné leur mentalité terroriste, exigeant la publication de la liste complète des financiers du Front al-Nosra et une coopération avec les Kurdes pour sécuriser la détention de milliers de prisonniers de l’État islamique.

Un récit plus large : conspiration ou stratégie occidentale ?

Les déclarations de Ford s’alignent avec des récits antérieurs émanant de figures comme Hamad ben Jassem Al Thani, Hillary Clinton, les fuites d’Edward Snowden, ainsi que les propos de James Jeffrey, ancien envoyé spécial américain en Syrie. Ces récits suggèrent l’existence d’une stratégie occidentale concertée visant à neutraliser la Syrie et à la ramener dans la sphère d’influence américano-israélienne, en utilisant al-Jolani comme un outil fonctionnel.

Conclusion : des questions en suspens

La confession de Ford met en lumière les complexités du théâtre syrien et le rôle des puissances occidentales dans la définition de son avenir. Al-Jolani était-il simplement un pion entre les mains des services de renseignement britanniques et américains ? La remise des archives d’Eli Cohen était-elle une étape calculée dans le cadre d’un accord plus large ? Ces questions restent en suspens alors que les enquêtes et les spéculations se poursuivent sur la véritable nature de la « révolution syrienne » et l’avenir d’al-Jolani à Damas.

Ce qui semble clair, cependant, c’est que la Syrie demeure un champ de bataille pour des luttes géopolitiques complexes, où les intérêts des puissances internationales se croisent avec les ambitions des acteurs locaux.

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