
Lors d’une interview dans l’émission « Atlantique Midi » le lundi 5 mai 2025, le journaliste Ahmed Alloua a interrogé l’académicien et acteur politique et associatif Mohammed Darwish au sujet du retour d’Abdelilah Benkirane à la tête du Parti de la Justice et du Développement (PJD) et de la controverse suscitée par son récent discours, notamment ses déclarations jugées « brutales » et « inacceptables » par certains Marocains concernant la cause palestinienne. Dans cet échange, Darwish a livré une lecture critique du discours de Benkirane, tout en lançant un appel aux partis politiques pour restaurer l’éthique dans la pratique politique. Dans cet article dialogué, nous revenons sur les moments forts de cet entretien, en éclairant le contexte de la polémique et ses implications.
Ahmed Alloua, journaliste : Monsieur Mohammed Darwish, comment analysez-vous le retour d’Abdelilah Benkirane à la tête du PJD et la controverse suscitée par son dernier discours, notamment ses propos sur la cause palestinienne, jugés inappropriés par certains ?
Mohammed Darwish : Tout d’abord, je tiens à féliciter M. Abdelilah Benkirane pour sa réélection en tant que secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement, ainsi que pour la confiance que lui ont accordée les congressistes. Je salue également le parti pour la réussite de son congrès national. Il s’agit d’une affaire interne au parti, et je ne peux que respecter la volonté de ses membres. Cela dit, permettez-moi d’être franc : ce qui a retenu mon attention – et m’a préoccupé – est le discours prononcé par Benkirane le 1er mai dernier. Nous n’étions pas face à un discours politique rigoureux, comme ceux auxquels nous avaient habitués d’anciens chefs de gouvernement tels que feu Abderrahmane Youssoufi, Abbas El Fassi ou Idriss Jettou, qui pesaient chaque mot avec soin, distribuaient des signaux avec sagesse et adressaient leurs messages avec précision, sans avoir besoin de recourir à des attaques directes ou blessantes.
Journaliste : Vous voulez dire que le discours de Benkirane manquait de sagesse politique ? Pouvez-vous préciser ?
Darwish : Exactement. Ce que nous avons entendu n’était pas un discours politique au sens classique, mais plutôt une harangue de prédicateur, portée par une grande maîtrise de la communication et de l’art oratoire. Benkirane sait parfaitement comment diriger ses flèches et il est conscient de l’impact de ses paroles. Malheureusement, cette fois-ci, il a dépassé les bornes, particulièrement dans la partie concernant la politique étrangère. Ses critiques directes adressées au président français Emmanuel Macron et au président américain Donald Trump – sans les nommer explicitement – étaient une grave erreur. La politique étrangère du Royaume du Maroc, conformément à la Constitution, relève des prérogatives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste. Qu’un chef de parti, quel que soit son statut, s’immisce dans ce domaine constitue une atteinte aux compétences de l’institution royale, ce qui, à mon humble avis, est une faute et une honte.
Journaliste : Mais Benkirane a soutenu que ses propos visaient à défendre la cause palestinienne, une question qui tient à cœur à l’opinion publique marocaine. Ne pensez-vous pas qu’il avait le droit d’exprimer son point de vue ?
Darwish : La cause palestinienne est une cause nationale et panarabe, et personne ne conteste son importance. Cependant, exprimer son soutien à cette cause doit se faire avec sagesse et responsabilité, et non par des déclarations provocatrices qui s’écartent du cadre diplomatique. Le Maroc, sous la conduite de Sa Majesté le Roi, déploie des efforts considérables pour bâtir des relations internationales fondées sur le respect mutuel et les intérêts communs. Le Royaume, à travers le Comité Al-Qods présidé par Sa Majesté, joue un rôle central dans le soutien au peuple palestinien, que ce soit par des aides humanitaires ou des positions diplomatiques fermes. Par exemple, l’Agence Bayt Mal Al-Qods Acharif, créée par le Maroc, a fourni plus de 100 millions de dollars depuis sa fondation en 1998 pour financer des projets de développement à Jérusalem, selon des rapports officiels. Que Benkirane s’adresse à des chefs d’État étrangers de cette manière affaiblit ces efforts et donne une image désunie de la politique étrangère marocaine.
Journaliste : Voyez-vous dans ce discours un changement dans l’approche de Benkirane par rapport à son mandat de chef de gouvernement ?
Darwish : Absolument. Benkirane, durant son mandat de chef de gouvernement entre 2011 et 2017, était connu pour son habileté politique, malgré un style parfois populiste. Mais son dernier discours suggère qu’il a perdu une partie de cette sagesse. Ses propos, qualifiés d’« inappropriés » dans la société marocaine, qu’ils visent des politiciens locaux, des journalistes ou des dirigeants étrangers, ne sont pas à la hauteur d’un responsable politique de son envergure. L’opinion publique marocaine, dont je fais partie, juge ces comportements, et je pense que beaucoup ont ressenti de la déception face à cette approche.
Journaliste : Comment percevez-vous l’impact de cette polémique sur la scène politique marocaine dans son ensemble ?
Darwish : Ce qui me désole profondément, c’est la dégradation du niveau du discours politique au Maroc, particulièrement depuis 2011. Le Maroc était autrefois réputé pour des discours politiques empreints de raffinement, porteurs d’éthique et de responsabilité, comme nous l’avons vu sous d’anciens chefs de gouvernement. Aujourd’hui, nous assistons à des discours qui sombrent parfois dans l’injure et la personnalisation. Cette situation exige des partis politiques qu’ils réévaluent leur approche. J’adresse un appel à tous les partis, y compris le PJD, pour qu’ils élèvent le niveau éthique dans la gestion des divergences et l’expression des critiques. La politique, avant et après tout, est une question d’éthique dans la pratique et dans les mots. Nous ne pouvons pas construire une société cohésive si le discours politique continue de s’abaisser au niveau de la provocation et de l’excès.
Journaliste : Un dernier mot, Monsieur Darwish ?
Darwish : J’espère que M. Benkirane retrouvera sa sagesse d’antan et réalisera que son rôle de chef de parti porte une responsabilité nationale majeure. Le Maroc a besoin aujourd’hui d’un discours politique qui unifie et ne divise pas, qui construit et ne détruit pas. Je réitère mon appel aux partis : faites de l’éthique le cœur de votre pratique politique, car c’est la seule voie pour restaurer la confiance des citoyens dans l’action politique.
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