GIL24-TV Vivre-ensemble ou comment faire en sorte qu’une pure multiplicité d’individus forme un seul peuple

La pensée politique moderne envisage la constitution du corps politique à partir du problème de la multiplicité : comment faire en sorte qu’une pure multiplicité d’individus forme un seul peuple ? La fiction de l’« état de nature », forgée par Thomas Hobbes puis reprise par Jean-Jacques Rousseau, a pour fonction de poser le problème à partir de son point de virulence, c’est-à-dire à partir d’un état maximal de déliaison. Au commencement, il y a un agrégat chaotique (« guerre de tous contre tous » de Hobbes) ou la dispersion des individus sur la surface de la terre (Rousseau). Partant d’une humanité « déliée », il convient de savoir par quels moyens l’unité sera possible.

Hobbes pensait que seul le « Léviathan », véritable « monstre qui décourage le crime » pouvait garantir l’unité du peuple. Le prix à payer était la soumission à un pouvoir absolu. Rousseau pensait, quant à lui, que la coercition ne pouvait créer qu’une unité de façade : en lieu et place du contrat de soumission proposé par Hobbes, il élabore un contrat d’association grâce auquel les citoyens pourront jouir, en plus de la sécurité de leurs biens et de leur personne, de la liberté civile.

On sait, toutefois, qu’aux yeux de Rousseau, le contrat d’association ne suffit pas. Pour que la cohésion sociale soit effective, l’adhésion est requise : il faut que les subjectivités soient affectées. L’affect qui servira de ciment au corps social ne sera pas, comme chez Hobbes, l’effroi que le Léviathan inspire, mais l’amour des lois que la Religion civile a pour vocation d’entretenir dans le cœur des citoyens.

Ce bref détour permet de donner sens à la notion de vivre-ensemble : en tant qu’elle désigne un problème – celui de savoir comment faire coexister, au sein d’un même corps politique, une multiplicité d’individus – la notion n’est pas creuse. Mais ce n’est pas ainsi qu’elle est couramment employée. Dans la bouche des politiques actuels, le « vivre-ensemble » est moins le nom d’un problème que celui d’une solution : la société, menacée de délitement, sera sauvée grâce à la communion dans « les valeurs communes ». Car, sous le vocable de « vivre-ensemble », que désigne-t-on, sinon l’adhésion de tous et de chacun à des valeurs partagées ?

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